Les demeurées
De Jeanne Benameur
Roman 2000
Depuis le temps que je souhaitais découvrir cette auteure, et bien voilà c'est donc fait avec Les demeurées.
Avant cette belle histoire d'amour, ce lien très fort entre une mère et sa fille, l'écriture de Jeanne Benameur m'a impressionnée. Je ne sais trop comment l'exprimer mais il y a de la vie de ce qui est écrit, c'est fort et les sentiments sont très bien mis en relief.
La petite se tient à la place exacte du mot lancé tout à l'heure dans l'air.
De l'abrutie, elle a le front étroit et l'angle trop large du coude avec l'épaule, un espace entre la main et chaque chose qui ne se comble pas.
A l'abrutie, il manque de joindre.
Rien n'est assez puissant pour aller faire aller le geste jusqu'à l'objet, l'esprit jusqu'à l'image. Le temps n'y fera rien. La mère et la fille, l'une dedans, l'autre dehors, sont des disjointes du monde.
Ainsi, le lien qui unit Luce à sa mère La Varienne est indestructible. Nul n'a réussi à le briser. Alors chacun au village les laisse faire leur vie sans vraiment s'en préocupper. Elles vivent dans leur monde car, nul doute, elle sont idiotes, abruties, pas vraiment futes-futes.
Mais Luce à l'âge d'aller à l'école. Elle ne peut y échapper, même si c'est une abrutie. C'est Mademoiselle Solange l'institutrice qui insiste sur ce point. Peu importe les capacités de Luce, elle souhaite lui enseigner un minimum de savoir. Alors bien sur tout cela va perturber la symbiose entre la mère et la fille. Mademoiselle Solange persiste et ira jusqu'à franchir la frontière qui sépare l'univers des deux idiotes au monde extérieur.
Jeanne Benameur nous dépeint très subtilement l'univers de Luce et de La Vaurienne. Le vide dans la tête, les gestes mécaniques sans repère de temps où d'un quelconque raisonnement.
La femme a oublié, prise à quelque autre geste. Rien ne la relie à ce qui l'occupait toute, la minute d'avant. Le regard des yeux pâles est rivé à 'instant, très près du corps lourd. L'esprit colle à chaque chose prise sous le regard. Aucun espace n'a réussi à écarter, même infimement, l'esprit de l'œil. Aucune place ne s'est faite là. L'intelligence a renoncé.
Les trois personnages souffriront à leur manière à un moment donné du passage de Luce à l'école. Pour Mademoiselle Solange, ce sera terrible.
Pour ma part, le sort ou plutôt la réaction en chaine de Mademoiselle Solange m'a parut un peu excessif. A moins que je sois passé à côté de quelque chose. Ce que j'ai plutôt perçu dans cette histoire c'est qu'elle a quand même réussi à transmettre quelque chose à Luce, qui a germé et que cette dernière a su utiliser à sa façon. J'y est vu aussi une sorte d'intelligence de la part de Luce qui a finalement accepté une part de ce qui lui était proposé mais tout en préservant sa mère et le lien qui les unit.
Jeanne Benameur devient donc une auteure que je me plairait de lire. Lire avec délectation.