L'autobus d'Eugenia Almeida
Editions Metailié - 2007 (2005)
124 pages
Roman argentin
Un roman qui l'air de rien nous fait le témoignage de la mise en place de la dictature en Argentine. Par l'écriture l'auteur semble vouloir faire passer le message sans donner les mots exacts mais plutôt par image et par le comportement des personnages face à des événements inhabituels dans leur petite ville où tout le monde se connait.
C'est tout d'abord un autobus qui fait halte tous les jours dans cette petite ville mais qui pendant quelques jours ne fera que passer sans s'arrêter. Et puis il y a la barrière du chemin de fer restée baissée sans qu'aucune information ne soit donnée.
Le comportement humain étant ce qu'il est, les gens sont curieux ; ils vont même jusqu'à faire le déplacement jusqu'à l'arrêt du bus pour le voir passer, mais personne ne se pose de question ou si peu. Il en est de même pour les ordres donnés au commissaires qui les appliquent en évitant surtout de contrarier ses supérieurs.
L'orage gronde sans éclater ça préoccupe mais n'inquiète pas plus que ça. La population semble même ravie de certaines mesures prises vis à vis d'individus qui ne suivent pas la bonne conduite. Ceux dont les moeurs dérangent.
Ponce est avocat installé depuis quelques temps dans cette ville mais pas du bon côté. La ville est coupée en deux par la voie ferrée. Ponce n'a pas choisi aux yeux des autres le bon côté. Il s'énerve car même sa position de notable ne lui permet pas d'intervenir pour faire arrêter le bus afin que sa soeur puisse partir.
Il y a aussi cet agent commercial accompagné d'une jeune fille, tous deux inconnus des environs qui décident finalement de partir à pieds.
Il y a bien des gens qui s'interrogent ou qui en savent peut-être un peu plus mais tout semblent s'amplifier sans qu'il y ait possibilité d'arrêter quoi que ce soit.
Le style d'écriture cinématographique en a fait une lecture particulière qui est loin de m'avoir déplu. Les scènes se suivent mais l'on comprend très vite le déroulement.
Je recommande.
Extraits :
"Tout le monde sait qui vole qui, qui déteste qui, qui trompe qui. La nuit tombée, le commissaire sort faire un tour le long des maisons importantes : celle de la veuve Juarez, celle des Orellano, celle de Guzman, celle des Fuentes, celle du docteur Vieytes. Parfois on entend un coup de fusil, un soupir sec et bref, le bruit d'un corps qui tombe. Mais c'est toujours de l'autre côté des voies. Et c'est toujours un coup de feu en l'air, un coup de couteau qui rate sa cible, un ivrogne qui ne peut pas rentrer chez lui. Le commissaire sait pourquoi lui aussi vit de l'autre côté. Et il sait qu'il y a d'autres règles : de ce côté des voies l'hôtel, le club, la pharmacie, le salon de coiffure, les familles des notables, le commissariat. De l'autre côté, les maisons basses, aucune rue goudronnée, des commerces pauvres qui menacent de ne plus vendre de vin si les notes ne sont pas payées, des soupirs, des robes à fleurs, des enfants avec plus d'un père, le poignard, le fusil. Sans commissariat."
"Excusez-moi. Mon travail n'est pas simple. Moi aussi, je dois obéir sans poser de questions. Vous en êtes conscient ? Moi, on m'envoie un ordre et je le fais exécuter. Et si je ne comprends pas, cela ne fait rien. En plus, mes supérieurs ne sont pas ici, ils ne savent pas comment est la situation ici. Je connais tous les habitants du village. Je connais les parents, les frères et soeurs. A Cordoba, ils attrapent un type, le mettent en prison et ne savent même pas comment il s'appelle."
"Mais à dire vrai, Gomez, et que cela reste entre nous, je ne sais pas très bien de quoi je dois les tenir informés. Il faut être sur ses gardes, il ne faut pas laisser l'ennemi se renforcer... Quel ennemi ? Moi, ici, je connais tout le monde... je ne sais pas... Et en plus, prévenir qui ? Là aussi, c'est un sac de noeuds. Je me retrouve d'un coup avec tellement de supérieurs que je ne sais plus comment fonctionne la chaîne de commandement. Et avec cette histoire de gouvernement militaire... je ne sais plus... je ne sais plus si je dois obéir à ma hiérarchie, ou à un militaire moins gradé..."